L'Odalisque et l'Eléphant







L'Odalisque, comme l'Elephant, est pourvue d'oreilles, et c'est divin.

L'Odalisque, comme l'Eléphant, a la mémoire des mots, des contes, des légendes, et c'est exquis.

Pauline A., comme Charlotte G., a la tracé fin, drôle et délicat, (grandiose, magnifique, sublime, sublimissime, ...tu connais mon emphase quand je m'attache à dire ce que me fait l'imagerie de Charlotte Gastaut, n'est-ce pas ?, depuis le temps) et c'est  savoureux.

Je n'ai pas l'heur de connaître Pauline Alphen, on n'a pas été présentée, mais je peux à coup sûr affirmer cette assertion : la Pauline est taquine, coquine, espiègle.  Absolument, espiègle. Espiègle l'écriture, espiègle l'humeur du livre.

Espiègle, et je pourrais te parler des noms dont s'affuble le Sultan (en vrac : Sa Gavée Majesté, Ebaudi Sultan, Sa Flegmatique Majesté, Béate Inconscience de Tout, etc.) et de sa légendaire modestie (les cadeaux qu'il reçoit sont lumineusement appelés des OVNIs : Objective Valorisation de ma Nature Incomparable).

Espiègle, et je pourrais te lire :
"[le temps] durerait longtemps et toujours en été, qu'il suspendrait son vol [...]" (p.64)
"Ah ! Tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ! s'exclamaient les vizirs, les émirs, les khans, les califes et autres pachas." (p.80)
"Son odalisque était seule et abandonnée, comme sur une plage un coquillage, pire, un crustacé !" (p.111)
"C'est en vérité un bien grand mystère : pour quelle raison étrange les gens qui ne sont pas comme nous, ça nous dérange" (p.122) (je ne sais pas vous, mais là, moâ je chante !)
"Je te donnerai tous les bateaux, tous les oiseaux, tous les soleils..." (p.125)
"Une seule chose était claire : les histoires d'amour finissaient mal en général." (p.150) (et là je re-chante)
"Dans la pénombre de ta tour, petite odalisque, m'entends-tu ? (p.151) (et là je ris)
etc.

Espiègle, et je te lirais encore que :
"La lune enceinte trouait le ciel, les étoiles étaient à leur poste, les cigales chantaient, les crapauds crapotaient, les fontaines fascinaient" alors qu'un peu plus loin "les chameaux bossaient".

"Le temps qui ne renonce jamais continua à passer. Il passa tellement qu'il repassa au même endroit et trouva Leila dans sa tour, près de la fenêtre, plongée dans un livre rouge. [...] Dans le passé de l'âge et du moment, le temps était bien plus jeune. ce n'était pas encore ce temps que nous connaissons, qui urge, rugit et ne s'étonne de rien. Il manifestait alors une certaine tendance à la distraction et un goût certain pour le chaos. Paresseux, flâneur, jamais à l'heure, il adorait provoquer la pagaille. C'était un temps un tantinet irresponsable. Et beaucoup plus marrant." (p.63)

"Leila regarda son nombril et comprit qu'elle n'était pas précisément ce que l'on attendait d'une odalisque élevée dans le harem du Sultan. Elle pensa encore un petit coup et comprit que, de surcroît, elle n'avait pas envie d'être ce-qu'on-attend-d'une-etc. Elle sentit alors un vide dans l'estomac et une envie folle de partir en courant comme un phoque, pour plonger au cœur d'un grand livre dans le silence de la tour." (p.81)

"Les femmes dirent  "Oh !", les hommes firent  "Ah !" et tous de sentir leur âme s'envoler par le petit orteil devant si délicate perfection." (p.84)


Pauline-la-Profonde écrit aussi :
"Grandir de façon harmonieuse sans exagérer, grandir sans piétiner l'enfance est un exercice délicat. Il exige de la concentration, de la discipline, une dose adéquate de distraction et de fantaisie, une bonne pincée de rire et de jeu, un zeste de révolte et la muette fluidité des rêves. c'est l'affaire de toute une vie." (p.32)
 
 Au dos du livre, il est écrit, en rouge :  "L'odalisque et l'éléphant est une histoire qui rend toutes les histories d'amour impossibles possibles"
De l'amour, je ne te dirai rien. Tu liras, et tu verras la sage et la visionnaire derrière l'Espiègle.

Mesadames, pour ce zeste de fantaisie, de vérité profonde et de poésie, grand merci !



Evidemment, je n'ai pas pu résister... la B.O., hé hé :

Mais ma-petite-bande-originale-intérieure-à-moâ, pour ce livre-là, ce serait plutôt celle-là...

cOntes d'un rOi pas si sage




















Contes d'un roi pas si sage de Ghislaine Roman, illustré comme j'aime par Clémence Pollet , aux éditions du Seuil Jeunesse.

Artégan n'a pas assez de temps. Ou peut-être si, mais ne le sait pas. 

C'est le conte premier des Contes d'un roi pas si sage. C'est terriblement plaisant à lire. 
Et ça leur a plu à mes p'tits-z'élèves, beaucoup (sauf à deux, ça manquait d'actions ninjas !). Ça leur a plu parce que ça leur a plu ! (c'est vrai quoi, question d'instit' à la noix). 

Et ils se sont demandé ce qu'ils feraient, eux, s'ils étaient Artégan. L'un d'entre eux pourrait bien être le grand-père du petit roi, un grand-père déjà sage qui a écrit :
 "Moi, si j'étais Artégan, je voudrais ne rien changer au temps, je l'aime comme ça."

(comme ils disent Outre-Atlantique "it's not about "having" time. It's about making time.")

 Puis ils m'ont demandé "Elle va écrire un autre livre ? C'est quand, c'est quoi ?"

Pour ces moments de joyeuseté Madame Roman (si c'est pas un nom prédestiné ça !), merci !

l'Ogre au pull vert mOutarde #2




















J'aurais pu aussi vous parler des modes d'emploi bien pratiques dont Abdou ou l'Ogre-au-prénom-composé-improbable-qu'on-ne-connaîtra-pas nous livrent la recette. Mais je vais juste les copier (mal) :

Comment faire pour lire L'Ogre au pull vert moutarde de Marion Brunet  (collection Pépix dirigée par Tibo Bérard, aux éditions Sarbacane) :

- chausser tes godillots même s'ils sont crottés ;
- t'en aller battre le pavé, il fait beau, les fleurs fleurissent, ton sourire aussi ;
- pousser la porte de ta petite librairie préférée, ton sourire parfume ton visage ;
- lécher les rayonnages, ou bien demander de ta voix suave le succulentissime Ogre au pull vert moutarde mochissime ;
- repartir en galopant, riant sous cape, la babine retroussée, la bave en gloss.


Facile, quoi !
Non, je ne te prête pas le mien... Il est déjà en train de tourner !

l'Ogre au pull vert moutarde #1




















SUC-CU-LEN-TIS-SI-ME !

Je me suis régalée la papille et le sourire hier à lire Marion Brunet et son Ogre au pull vert moutarde.
Marion Brunet, je la guettais, depuis que j'avais lu, épatée, son Frangine (que Monsieur Pépix-très-enthousiaste m'avait convaincue de lire, à Montreuil).
Ça se confirme, je me retrouve emballée pareil, et à nouveau je me dis que ce livre-là devrait être de toutes les classes, de tous les CDI et de toutes les bibliothèques de France et de Navarre. Vous avez l'eau à la bouche, je vous donne faim ?

"J'en viens à l'essentiel. Sachez que les vieux ont un goût particulier : le goût du passé. Ce n'est pas vraiment mauvais, mais c'est ... amer. Mauvais choix ressassés, regrets pour des trucs pas finis, remords pour des trucs mal finis... Dur à digérer, ça reste sur l'estomac. Et alors quand ils ont des choses graves à se reprocher, le goût devient carrément acide.
[...] Eh bien voilà : la culpabilité, c'est acide comme du jus de citron vert. Et puis il y a aussi l'ennui... L'ennui a un goût de navet [...]; et si l'ennui est depuis de nombreuses années, le vieux prend carrément un goût d'endive bouillie !" p.55-56

On apprend aussi, un peu plus loi qu'ils ont "le goût de la patience (acquise au cours d'une longue vie d'attentes pas toujours comblées), la saveur de la douceur (datant de l'époque où les petits-enfants venaient encore en visite), et celle de la nostalgie - qui ressemble un peu à du biscuit trempé dans du thé." p.57

"C'est l'avenir qui donne un si joli goût à la chair des enfants. Ça pétille sur la langue, vous voyez ? [...] Entre un vieux au goût d'endive et un enfant qui... qui... pourrait être tellement de choses : futé, boute-en-train, amoureux, mélancolique, léger, timide, profond, orgueilleux, avare, généreux... et qui pourrait devenir tout ce qu'il veut !" p.59
"L'échec, ça a un goût d'épinards." p.60

"Vous vous souvenez, j'ai dit tout à l'heure que les enfants avaient un goût d'avenir ? Eh bien, une petite chose très important que je n'ai pas précisée, c'est qu'ils ont aussi une ODEUR... [...] : une odeur d'espoir, qu'aucune vie en foyer, aucune existence misérable, aucun chagrin, aucun deuil, aucune souffrance, ne peut leur retirer.
[...] Ils traînent derrière eux ce délicieux fumet d'ESPOIR qui ressemble très exactement à du fondant au chocolat, croustillant autour et chaud dedans." p.118

Miam, non ?

l'amOur hérissOn













"Vous avez reçu un colis."
Chouette, c'est ainsi que commence la soirée, ça fait du bien.
"Il est chez votre voisin" continue le bout de papier.
Je m'y précipite, je m'interroge, qu'est-ce ? de quoi ? de qui ? d'où ? Je vois l'enveloppe, je lis l'adresse.
Battements de tambour, palpitations absurdes (mais si bonnes)...
Il est là.
L'Amour hérisson de Thierry Lenain, superbement illustré par Françoise Malaval, aux éditions Masala.

Pour moi, ce n'est pas rien. C'est par ce livre, à l'époque déjà épuisé, que je suis tombée -plouf- dans la marmite de Thierry L.
C'est au sujet de cet Hérisson dans cette édition particulière que nous avons échangé nos premiers bouts de mots ici (Michael Jackson relevé d'entre les morts m'aurait causé moins d'émotions !).

Aujourd'hui, ça y est, il est là. Il est sublime. Fébrile mais précautionneuse, je lui tourne les pages. Je caresse le papier qui raconte l'Inde d'où il vient, je caresse les illustrations majestueuses, je caresse les mots. Je le respire. Je suis émue comme une amoureuse-le-coeur-papillon avant son premier rendez-vous.

Je sais j'ai le superlatif facile. En fait, j'ai le superlatif spontané. Ce livre est sublime. Il en reste peut-être un ou deux, s'il vous fait envie, là, sur les mots nomades.

les cOmpliments

 



















Je souris toute seule à perdre haleine en relisant Les compliments de François Morel... 
Qu'il est fort le bougre, qu'il est fort et fin et... et... et... ! 
Sa chronique sur Raymond Devos (p.105) est épatante, celle sur Luchini (p. 101) très exacte, celle sur Chantal Goya (p. 66) drôlissime. C'est celle sur Marie Laforêt (que je chantais petite) qui m'a fait glisser l'ouvrage dans mon panier.

P. 42, il commence comme ça : 

"Marie Laforêt, j'ai décidé de faire comme vous : j'arrête de vieillir. Ce n'est pas une décision facile à prendre... Mais vous serez d'accord avec moi : c'est d'abord une question de volonté."

Puis il fait dire à son proviseur, p. 43 : "Pour l'instant vous grandissez, vous êtes contents, mais vous verrez qu'un jour vous finirez par le regretter. Vous vieillirez et vous ne saurez plus comment vous arrêter. Votre âge deviendra une dépendance."


Puis il explique, p. 44 : 

"Alors, par amour pour ma femme et mon enfant, j'ai fait des efforts, je ne vieillissais plus dans la maison. Le soir, des fois après le café, j'allais vieillir un petit peu sur le balcon.Comme ça. Juste une ride ou deux. On ne se défait pas si facilement de ses habitudes.
Et puis j'ai rechuté, j'ai pris des années comme on prend du ventre. J'ai pris du ventre comme on prend de l'importance. J'ai pris de l'importance comme on prend un coup de vieux."


Pour conclure un peu plus loin sur cette même page : 

"Maintenant ça y est. C'est décidé, j'arrête.
J'arrête à condition, évidemment, que ça ne m'empêche pas de vivre. [...]."